Ami des autodidactes, des écrivains et des artistes, adversaire des institutions culturelles, auteur d’ Asphyxiante culture 3 – essai dans lequel il envisage un art qui procéderait de la jubilation et non de l’initiation –, extrêmement savant et fortuné lui-même, fondateur de la Compagnie de l’Art
Brut et théoricien, il a construit une œuvre de l’ambiguïté et de l’équivoque où se mélangent virtuosité et maladresse, accidentel et concerté, où humain, (pag 7)
Son rêve le plus ancien [del escritor Morceau], avant de commencer à
écrire, était de devenir compositeur de musique. Il voulait inventer des sons. Il s’est aperçu qu’il allait vers les mots pour leur sonorité plus que
pour l’histoire que les mots lui racontaient. Il « lisait avec son oreille ».
Son amour de la musique est passé dans l’écriture. Dans Les Arts viscéraux, publié en 1975 chez Christian Bourgois, livre que Dubuffet reçoit
avec enthousiasme, impressionné par les « extraordinaires trouvailles de
formulation » qui « agissent comme des lance-fusées », l’écrivain propose un essai sur les pouvoirs de la musique qu’il estime être la seule
forme artistique pouvant s’avérer réellement subversive, selon les termes de
Christophe Van Rossom 8 . On comprend l’enthousiasme de Dubuffet
à la lecture de ce texte, lui qui s’est adonné à des expériences musicales
avec le peintre danois Asger Jorn, en 1961, préférant mettre de côté son
bagage musical, aussi léger soit-il, afin d’inventer des sons et de « tirer
des effets inédits des instruments ». (pag 10)
On comprend également son sentiment de proximité pour cet écrivain [el sentimiento de Dubuffet a Moreau] insoumis qui s’insurge contre la fadeur, contre une certaine forme de culture, contre « une culture à ranger au musée des éruditions », pour
qui la « vraie » culture est une prescience plutôt qu’un savoir. Parce que
le savoir désigne quelque chose de très structuré, de très articulé, il lui préfère la connaissance par le flair, par les actions, et transforme la formule de Nietzche « Le Gai savoir » en « Gaie prescience ».(pag 10)
«Alors que vous, Marcel Moreau, vous êtes un être brut, vous n’avez pas fait d’études, vous partez donc du plus profond des instincts. »(pag 10)
Marcel Moreau a écrit pour le Quatuor Ludwig un texte sur Beethoven, sans avoir rien lu sur le compositeur, pas même sa biographie. Une écriture de l’instinct. Il a aussi écrit sur le flamenco qui continue de le passionner parce que les pulsions marquées par les battements du pied sont un phénomène qu’il ressent quand il travaille « la danse du sens des mots 12 ».
« Le flamenco », dit Marcel Moreau dans Les Arts viscéraux, « est une des sources les plus profuses de la réflexion rythmique. (…) Par le taconeo, le danseur marque son appartenance au sol et même au sous-sol. Le délire du talon a la valeur d’une main
battante dans les entrailles. »
Le rapport du corps et de la création n’a cessé d’habiter son écri-ture qui est une aventure physique, charnelle et sensuelle. Le corps, comme véhicule de la pensée. « Je crois à la fonction charnelle de l’écriture de la même manière que je vois ce sexe passer à l’érection, ou que j’assiste, chez une femme, à sa transfiguration par l’extase 13 ». Il arrive souvent, explique Marcel Moreau,
qu’au cours de l’écriture, il cherche un mot. Il sait qu’il existe mais il ne le trouve pas. Et tant qu’il ne le trouve pas, son écriture reste en suspens car ce mot est vital. Puis, il
suffit qu’il se lève, quitte sa table de travail, esquisse quelques pas pour que le mot vienne. Il était bloqué, là, dans les articulations du corps. Par le simple fait de se déplier, le mot a surgi.(pag 11)